English and French version
Valcreuse fut la propriété de Raymonde de Chazal et de son époux Maurice Galland.
Elle semble à l’abandon depuis des années, le long de la route de Berne, ravissant squelette entouré d’échafaudages. A qui appartient la bâtisse? Comment est-elle parvenue à résister au bétonnage échevelé? Qui la protège encore de la destruction? La maison de maître, endormie, préserve ses secrets. Pour connaître son destin, il faut s’arrêter devant les palissades qui en interdisent l’accès, déchiffrer un relevé cadastral et remonter le fil du temps. Valcreuse, longtemps appelée maison Dessous-les-Roches, appartient désormais au patron des sociétés Investhome et de Pro Logement, le promoteur immobilier Sandy Grand, qui l’a achetée en 2009 à l’hoirie Pernet. Depuis cette date, la demeure du XVIIIe siècle, dernier vestige du hameau de Vennes, a traversé le chaos.
Au moment de l’achat, son parc était classé d’intérêt régional, mais pas elle. En 2012, la Division du patrimoine de la Ville de Lausanne se ravise. En lui attribuant la note 3, elle en fait le témoin authentique d’une époque et élève, dans le même temps, les exigences d’une restauration. Les travaux amorcés par Sandy Grand s’interrompent. Deux vagues de squatters envahissent la demeure, la souillent, la saccagent en y allumant des feux pendant l’hiver et l’utilisent pour y entreposer le produit de leurs larcins. Le différend entre la ville et le promoteur paralyse tout projet.
En janvier 2014, Sandy Grand obtient enfin une «autorisation à bien plaire» de reprendre les travaux, destinés à établir à Valcreuse le siège de sa société et trois appartements. Et c’est ainsi que le hasard a fait que le domaine soit sauvé à la veille de la publication, enmars, du livre de Bertil Galland, Les pôles magnétiques, dans lequel l’éditeur et journaliste raconte ses années de jeunesse en dédiant un chapitre à la mystérieuse demeure de Vennes.
La Suisse est alors à la veille de l’Expo 64. «Un jour, je roulais du centre de la ville vers Epalinges et les hauteurs du Jorat, dans une traversée banale de mon territoire d’enfance, quand je découvris que la route de Berne venait d’être enjambée par un pont de béton frais, écrit Bertil Galland. Dans un regard latéral d’une seconde, poursuit-il, une bretelle de béton m’apparut dans son cercle complet.
Peinture datant de la fin du 18ieme siècle, avant
l’addition d’un nouvel étage.
Tel l’anneau serre à mort la gorge d’un être aimé.» Il ajoute: «Ce trafic, en vérité, étrangle d’un garrot d’asphalte une exquise résidence du XVIIIe, Valcreuse. Le bâtiment subsiste à l’état d’un cadavre debout, maison de maître enrobée de bruits de moteur dans un moignon de parc, avec un reliquat d’allée et de pelouses dominées par les derniers rescapés de conifères rares.Ainsi fut réduite à l’état de rêve ou de cauchemar la maison de mon oncle, Maurice Galland.»
La profondeur du chagrin a, depuis, empêché Bertil Galland de revenir sur les pas de son enfance, là où l’accueillait affectueusement son oncle banquier: «Pas un arbre, dans le parc, parmi ceux qui ont cédé au béton et ceux qui ont peut-être survécu, où je n’ai grimpé, exploré les réseaux d’ombre, tenté de m’y figurer un avenir d’explorateur», écrit-il encore.
Valcreuse n’attendit pas l’opulente famille du banquier Galland pour vivre des années fastes. A vrai dire, on ignore quand furent construits les premiers bâtiments du hameau de Vennes, mais l’on sait, en revanche, que les héritiers de Pierre-Antoine Albert y construisent un édifice en 1778, que le domaine passe à Jean-Abraham Meyn en 1786 avant de revenir longuement à la famille de Crousaz, dont l’un des membres, Benjamin-Adolphe, a épousé en 1769 Elisabeth Jeanne Pauline Polier de Bottens, plus connue sous le nom d’Isabelle de Montolieu. Celle qui devint célèbre dans lemonde littéraire avec le nom de son second mari et en changeant de prénom meurt à Vennes en décembre 1832, vraisemblablement à Valcreuse, sa résidence d’été, sa «campagne», comme l’on disait à l’époque, un jour avant son fils Henri-Antoine de Crousaz, qui y vit depuis 1828.
L’un des derniers locataires de Valcreuse, alors entre les mains du Service fédéral des routes depuis la construction de l’A1, est Claude Pahud, ancien président du Grand Conseil. A près de 90 ans, le fondateur de l’Ecole Pahud, devenue l’Ecole d’études sociales et pédagogiques de Lausanne, se souvient des neuf années passées en famille, jusqu’en 1984, entre l’autoroute et l’une de ses bretelles. «L’appartement que nous occupions était magnifique, mais nous n’attendions qu’une chose, c’était de fuir le bruit pendant les week-ends, dit-il. A Valcreuse, j’avais un cauchemar récurrent: je me rêvais à genoux devant une fenêtre, tirant au mousqueton dans les pneus des camions.»
Aujourd’hui, alors que le flot des véhicules sature le contournement de Lausanne et en amplifie le vacarme, Valcreuse fait figure de rescapée. A l’instar de l’un de ses plus beaux arbres, en surplomb de la route de Berne. «La terrasse, devant l’entrée principale de la maison, plongeait après une pente en roseraie vers un séquoia, rebaptisé wellingtonia,à l’anglaise, écrit Bertil Galland. Sa stupéfiante majesté dominait une fraîche pelouse qui se poursuivait, au-delà d’un sentier, par une aire de croquet, des clairières latérales, des passages d’amoureux, des salons de feuillages.»
Plus rien ne subsiste, hormis le séquoia, sur lequel l’auteur a sans doute grimpé, plus majestueux que jamais, comme un pied de nez aux bétonneurs.
Article extrait du journal Suisse 24 heures, de Frederico Camponovo.
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Texte de Christiane Galland, le 4 mai 2014.
D’après ce que je sais, la maison a été achetée vers 1911. Raymonde de Chazal et Maurice Galland l’habite aussitôt àprès leur mariage en 1912. Ils y ont vécu jusqu’à leur mort, Maurice en 1956 et Raymonde en 1958. Mon père Robert Galland et toute notre famille y vivront de 1953 à 1964, année de l’exposition nationale. L’état de Vaud nous avait exproprié pour y construire l’autoroute. Après nous avons habité Montblesson à quelques kilommètres de là. Mon père y avait construit une maison.
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Dans les premières années, nous vivions avec mes grands parents, notre arrière-grand-mère ( Marcelle la femme de Pierre de Chazal) que nous appelions petite grand mère. Il y avait aussi notre oncle Philippe et Elaine (la mère de Dominique) avant son mariage. J’ai des bons souvenirs de Valcreuse, j’ai aussi grimpé à tous les arbres! Notre grand-mère était déjà très malade, suite à une opération de la vésicule biliaire, car il y avait eu des complications.Elle était souvent alitée. Deux ans avant son décès (juillet 1958),elle s’était cassée le col du fémur et à l’époque, il n’y avait pas de prothèses, on attendait que cela se consolide. En fait elle ne s’est jamais relevée.
Pendant cette période,nous allions souvent dans sa chambre et elle m’a appris à tricoter ( je n’ai pas beaucoup pratiqué par la suite!)
Souvenirs plus anciens, je l’aidais à ramasser des escargots qu’elle ébouillantait avant de les donner aux poules, beurk. Elle m’apprenait aussi les noms des fleurs quand on se promenait dans le jardin. Nous avions un grand jardin et un grand verger, des poules et des lapins et pour entretenir tout cela un jardinier nommé Jordan. Nous n’aimions pas trop quand il tuait les poules et les lapins… Tous les samedis il ratissait la cour qui était en gravier afin que tout soit en ordre pour le dimanche. En Suisse on dit “faire son samedi”. C’est à dire tout doit être propre en ordre pour le dimanche! Il y a bien sûr d’autres souvenirs, mais il est vrai que chaque fois que je sors de l’autoroute,je me dis que je roule sur le verger. Actuellement la maison est en rénovation et il y a encore beaucoup d’arbres qui ont disparu ces dernières semaines.
English version. Translation Christopher de Chazal
VALCREUSE”—-“The House below the Rocks”
Article taken from the paper “Suisse 24 Heures”, by Frederico Camponovo
Along the Berne Road, a beautiful skeletal ruin surrounded by scaffolding appears to have been abandoned many years ago. Who owned this building? How did it resist the ravages of coarse concrete? Who is protecting it from further destruction? This house of distinction is sleeping, keeping its secrets. To know its destiny one has to pause in front of the railings which forbid entry; consider the extent, value and ownership of the land, then go back in time and survey the past. Valcreuse, known as “The House below the Rocks” now belongs to Sandy Grant the owner of the Estate Agents ‘Investhome’ and ‘Pro-Logement’. He bought it in 2009 from the estate of Pernet deceased. Since that date, this XVIII century home, the last sign of the hamlet of Vennes, has survived many years of turmoil.
As soon as it changed hands the grounds were classified as “of regional interest”, but not the house itself. In 2012 the Patrimonial Division of the Town of Lausanne, after a thorough survey, revised its decision. They gave the building class three status as an authentic period house and at the same time ordered restoration to go ahead. However Sandy Grand’s building works were interrupted because two sets of squatters took over the house producing filth and havoc by lighting fires during winter, and using it as a base for dealing in illegal drugs. The different attitudes of the Town Council and the occupants paralysed the project.
In January 2014, Sandy Grand at last obtained an “authorisation of satisfaction” («autorisation à bien plaire») to take over the works so as to establish a headquarters for the firm and incorporate three apartments. It is thus that the house has been saved on the eve of the publication of the book by Bertil Galland, “The Magnetic Poles” in which the editor and journalist relates his formative years, dedicating a chapter to the mysterious home at Vennes.
See the painting above dating from the end of the 18th c. before the addition of another story
He writes “It was just before the Swiss Expo 64 and I was going from the centre of town towards Epalinges and the heights of Jorat, leisurely crossing the area of my childhood when I discovered that the Berne Road was blocked by the construction of a new concrete bridge. In a sideways glance I saw a ribbon of concrete forming a complete circle, a ring round the throat throttling that which I love. The traffic truthfully set a garrotte round Valcreuse, that exquisite residence of the XVIIIC. The building was existing as an upright skeleton, a mansion surrounded by the noise of the combustion engine in a much-diminished parkland, lost pathways and lawns dominated by the last survivors of rare conifers, a nightmare scenario for the house that belonged to my Uncle, Maurice Galland.”
The depth of his sorrow has since not allowed Bertil Galland to return to his childhood haunts, where his banker Uncle had warmly received him; “There was not a tree in the park, among those now covered in concrete or among those surviving that I had not climbed, enjoyed its shade, or used as an adventure playground” he continued.
Valcreuse, even before the illustrious banking family of Galland took over, experienced some exceptional years. To tell the truth, no one knows when the first houses of Vennes were built, but we do know that the descendants of Pierre-Antoine Albert built a house in 1778 and that the property passed on to Jean-Abraham Meyn in 1786 before being owned for many years by the Family Crousaz, of whom one, Benjamin-Adolphe, married Elisabeth Jeanne Pauline Polier de Bottens in 1769. She was better known by the name Isabelle de Montolieu. She became famous in the literary field under the name of her second husband after also changing her first name. She died at Vennes in December 1832 just one day before her son Henri-Antoine de Crousaz, who was born in 1828. She probably died at Valcreuse, her summer residence, her “country” as they said at the time;
One of the last tenants of Valcreuse was Claude Pahud, then President of the Grand Council. Ever since the construction of the A1 it had been owned by the Federal Road Service. Nearly ninety, the founder of the Pahud School which then became the School of Social Studies and the Teacher Training College of Lausanne, remembers the nine years he spent there with his family between the motorway and one of the slip roads. “The apartment we occupied was magnificent, except for one thing, it was the noise at the weekend from which we had to escape. I knelt at the window shooting my imaginary musket at lorry tyres.
These days, when the flow of vehicles on the roads of Lausanne is never ending the din is continuous. Valcreuse has been pruned like one of its more beautiful trees overhanging the Berne Road. Bertil Galland writes “The terrace, in front of the main door to the house, led to a slope planted with roses, then dropped to a sequoia now known by the English name of Wellingtonia,. This majestic tree dominated a lawn leading to a path past a croquet lawn, lateral breaks and lover’s lanes and arbours”
Nothing remains, except for the sequoia, on which the author no doubt climbed, as majestic as ever, thumbing its nose at road builders.
Text by Christiane Galland, 4th May 2014.
As far as I know, the house was bought in about 1911. Raymonde de Chazal and Maurice Galland lived there after their marriage in 1912. They lived there until they died; Maurice in 1956 and Raymonde in 1958. My father Robert Galland and all the family lived there from 1953 to 1964, the year of the National Exhibition. The Vaud Regional Authorities compulsorily bought it to construct the motorway. We then lived at Montblesson a few kilometres from there. My father had a house built for us.
The initial years were spent with my Grandparents, our Great-Grandmother (Marcelle wife of Pierre de Chazal) whom we called little-grandmother. There was also our Uncle Philippe and Elaine (Dominique’s mother) before his marriage. I have wonderful memories of Valcreuse, I have also climbed all the trees! Our grandmother was, even then, very ill following a gall bladder operation which produced complications. She was frequently bed-bound. Two years before her death in July 1958 she broke her femur and at that time there was no satisfactory solution, it had to knit naturally. In fact she never recovered. During this time we often went to her room and she taught me to knit (I have not made much use of this since!).
Some of my earlier memories; I helped to gather snails which she boiled before feeding them to the chicken, Yuk! She taught me the names of all the flowers as we strolled through the garden. We had a large garden, orchard, chicken, and rabbits; and to look after them all, a gardener named Jordan. We did not like it when he killed a chicken or rabbit….every Saturday he raked over the gravel yard so that everything would be in good order for Sunday. In Switzerland we say “make one’s Saturday”, that is to say all must be clean and tidy for Sunday! There are many other memories, but it is true that each time I exit the motorway I say to myself ‘I am driving over the orchard’. As I write the house is being restored and many trees have been felled within the last week or two.
Translator’s note: My thanks are due to Christiane and Bertil for allowing me to take liberties with their text, putting me on the right road when I strayed, and helping to achieve a readable text.
I am sure Berthe Mayer, (>Jeanne>Pierre>Pierre Edmond m. Lucie) was born in this house. You may read about Berthe and her husband Percy Mayer elsewhere on this website https://chazfest.com/Pearcy_Mayer.html
We hope to see this house, and very much look forward to meeting Christiane and Bertil at the Reunion in 2015 when we visit their beautiful city.
Christopher C de Chazal