RICHESSES DE NOTRE SOUS-SOL :
PROPOSITIONS CHAZALIENNES
« Une chose demeure et persiste : l’intransigeante beauté mythique de l’île, son constant rappel à une proto-histoire et cet outre-tombe de délices qui sort de ses flancs et auquel nul poète au monde ne peut résister » M. de Chazal, Introduction à Petrusmok
Fringant Chazal ! Loin d’être un deuxième enterrement avec fleurs, couronnes et discours, le centenaire de sa naissance se révèle être un bain de jouvence d’une rare efficacité : colloques universitaires en Europe et aux Etats-Unis, publication d’ouvrages et d’études critiques, lectures publiques de parties de son œuvre à Port Louis et Mahébourg, à Mesnil aux Roses dans cette maison de son enfance dont il fit « un monde de fées »[2] et dans les salons de propriétés sucrières[3]… En rit-il à gorges déployées là où il est ou se dit-il qu’il avait bien prévenu qu’il « parlai(t) au-delà du temps »[4] ? Toujours est-il que nous voilà entrant dans une ère chazalienne nouvelle au cours de laquelle nous serons certainement amenés à découvrir mille et un aspects de son œuvre tant picturale qu’écrite[5] et autant de pistes fécondes de réflexion.
Un épisode peu connu et peu exploité à date est celui des gisements de pétrole, épisode datant de la période 1972 – 1976 dont voici les grandes lignes et quelques pistes d’interprétation.
La carte pétrolière…
Le 23 janvier 1972, une lettre de Malcolm de Chazal est publiée par Le Mauricien. Datée du 22 janvier, elle commence par ces mots : « Je viens annoncer à mes compatriotes que l’île Maurice possède des richesses minières assez variées, dont le pétrole et l’uranium. Je suis prêt à en révéler les emplacements contre paiements et ‘royalties’. » Nous sommes quatre ans après l’indépendance et on se souvient que l’île traversait alors une période de crise économique sérieuse aggravée par un chômage grandissant. La révélation de Malcolm arrive donc dans un contexte particulier. « Il y a trois gisements pétrolifères – pas un de plus, pas un de moins, continue Malcolm. Un des gisements pétrolifères est d’une TRES GRANDE MASSE (je m’exprime en lettres capitales) ». Qui plus est, « l’île Maurice, outre deux gisements d’uranium, contient du fer (un gisement), de l’or (deux gisements), du cuivre (un gisement), de l’étain (un gisement), du charbon de terre (trois gisements), du cobalt (un gisement), deux poches de gaz naturel. (…) Il y a quelques gisements où peuvent être exploitées les émeraudes. » Et Malcolm ramènera le tout à la poésie en écrivant : « Les champs de canne à sucre nous ont permis de vivre pendant les 250 ans de notre histoire. C’est le sous-sol maintenant qui va nous donner la poussée vers les temps futurs ».
Le 5 février 1974, de nouveau dans Le Mauricien, il revient à la charge et précise « J’ai fait une carte pétrolifère de tout l’océan indien, comprenant Maurice, la Réunion, Rodrigues, les Seychelles, Madagascar, les Comores. (…) Un des gisements [mauriciens] est d’une capacité égale à n’importe lequel des gisements d’Arabie Séoudite. » Pragmatique, Malcolm détaille les conditions de cette offre : « Je suis toutefois prêt à révéler toutes mes informations aux conditions suivantes : un homme de loi à ma gauche. A ma droite, le représentant d’une compagnie pétrolière internationale, chèque en main. De ses facultés divinatoires, Chazal dira dans l’Express du 15 octobre 1974 : « De la même manière que je révèle le pétrole, les gaz naturels, les pierres précieuses, l’or et l’argent dans le sol mauricien ou en mer, je révèle exactement ce qui se trouve dans les astres ». Et c’est le voyant qui écrira presque 2 ans plus tard – le 25 mai 1976 – une nouvelle longue lettre au Mauricien sur la question du pétrole : « Nous sommes au bout du rouleau. Les années de ‘vache grasse’ tirent à leur fin. (…) Je tranche dans le vif quand je dis qu’il y a du pétrole à l’île Maurice. Et je propose d’aider mon pays. Un représentant de la Texaco m’a dit : Révélez les lieux où est le pétrole et nous fouillerons. (…) Les mois sont comptés. Le pactole des hauts prix du sucre ne peut infiniment durer. (…) Maintenant je révèle la grande affaire (…) il faut trouver une AUTRE METHODE [de prospection]. Cette méthode je la propose. »
Le 3 juin 1976, dans une interview au Mauricien, à la question du journaliste : « Ainsi, vous affirmez toujours qu’il y a du pétrole à Maurice. Est-ce une plaisanterie à la Malcolm ? », il répondra furieux : « Je ne plaisante jamais avec les choses sérieuses» tout en développant les bienfaits de la découverte et insistant sur les dangers que représente le pétrole pour Maurice : « Le pétrole chez nous sera un enfer. (…) Nous disparaîtrons sous la marée de l’or noir. (…) Si on découvrait le pétrole demain, nous vivrons américanisés à 100%. La civilisation du Coca-Cola nous inondera. Autour de Mahébourg, on verra des doughnuts et tutti quanti. Les gens ne sauront pas comment dépenser leur argent. »
Et ses dessous féeriques, matière première essentielle…
Malcolm voyait-il juste ? Y avait-il de l’or noir générateur de richesses ou de l’or en féerie générateur de richesse au singulier sous les pieds des Mauriciens ? Dès la lettre du 22 janvier 1972, la tendance poétique affleure immédiatement après la révélation sur le sous-sol mauricien : « Couvrant l’île avec ses archipels de lumière, les montagnes fées nous découvrent les richesses de leur ciel de pierre. » Or, la féerie avec, par extension, tout ce qui est de nature féerique constitue une constante de l’œuvre chazalienne, notamment en tant que voie d’accès à une « quatrième dimension » mythique et « archétyp(al)e », génératrice à la fois d’humanisation et d’ « essence. »[6] Dans cette perspective, l’île Maurice est dans son intégralité île-fée et tout ce qui la constitue poétiquement mérite l’adjonction du suffixe ‘-fée’. Chazal ira jusqu’à proposer dans Le Mauricien du 6 janvier 1973 qu’un écrin particulier du nom de Malcolmland soit créé tel un jardin suspendu contournant le Pieter Both pour recueillir l’essentiel de l’île-fée[7]. A titre d’exemple, on y trouverait un village-fée, un restaurant-fée, des ateliers-fée, des robes-fée … La lettre du 5 février 1974 dans le Mauricien dans laquelle sont dictées les conditions de révélation de l’emplacement précis des gisements se poursuit ainsi: « Quel est mon but ? Avoir au moins Rs. 20 millions ou Rs. 30 millions afin de faire de Maurice un centre poétique mondial et international avec Malcolmland » revenant ainsi une fois de plus à la poésie, au merveilleux et au mythique …
Pour Malcolm de Chazal, cette île née en 1947 lors de sa révélation par Petrusmok, décryptée par le verbe chazalien, psychanalysée par sa capacité visionnaire, dessinée dans ses contours mythiques par sa propre main, ne peut qu’être potentiellement riche. Et le poète concevra cette richesse à partir des matériaux qu’il a accumulés dans la longue quête l’ayant mené au féerique. Elle aura donc poétiquement deux facettes : celle du nécessaire essor du tourisme qui attirera « billionnaires américains et maharadjahs » (Le Mauricien, 2 décembre 1972) pour prendre plaisir de la féerie ambiante rassemblée à Malcolmland; celle nécessairement naturelle d’un sous-sol d’île-fée qui se doit de regorger de pétrole, matière précieuse et lucrative s’il en fût, avec – en complément – d’autres matières premières telles l’uranium, le gaz naturel, … productrices d’énergies incomparables, tant recherchées et résolument sources de pouvoir au niveau mondial. Héritière de la Lémurie, berceau quelque part de l’humanité, l’île Maurice se devait, enfin, de posséder les ressources autochtones aptes à la sauver de quelque désastre que ce soit et le rôle du poète est de les lui révéler.
En conclusion …
« Les mots sont une construction de l’homme, écrit Chazal en 1959. La Nature n’a pas de mots. La nature parle et les sons qu’elle émet sont à la forme même des images. Et la vibration est le corps de transmission portant les images à nos sens. » Chazal écrivait-il donc en langue nature pour que ses textes vibrent tant encore aujourd’hui et touchent encore plus de monde ?
Robert FURLONG
Bordeaux, ce 7 août 2002
[1] CHAZAL, Malcolm de. Petrusmok, Port Louis, The Standard printing Establishment, 1951
[2] CHAZAL, Malcolm de. Sens Unique ,Port Louis, Editions le Chien de Plomb, 1974, p 3.
[3] Une première lecture publique à la Maison des poètes de Port Louis n’avait attiré qu’une poignée de monde. Une deuxième à St Antoine a attiré une centaine de personnes dont des écrivains, poètes, journalistes, …
[4] VIOLET, Bernard. L’ombre d’une île, Toulouse, l’Ether vague, 1994.
[5] Aux Journées d’études organisées par les Universités de Paris XIII et IV en mai 2002, je souhaitais que les nombreuses interventions de Malcolm de Chazal dans la presse mauricienne sous forme de chroniques, articles ou lettres soient recensées et rassemblées. Ceci semble chose faite car une publication accompagnée d’un CD-rom est en cours de préparation aux Editions Vizavi.
[6] Le Mauricien, 28 et 30 juillet 1970. Pour plus d’informations sur la dimension féerique dans l’œuvre chazalienne, se référer à mon article De l’île-fée à Malcolmland (in Malcolm de Chazal en perspective, Port-Louis, Amdef, 2002).
[7] Voir article cité à la note précédente.
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