Texte posté par Histoires Mauriciennes.
Quand Malcolm raconte les courses au Champ de Mars, n’importe quel turfiste averti dépose ses jumelles, les marchands d’alouda suspendent leurs gestes, les parieurs s’arrêtent de feuilleter les billets. Et c’est le coeur de l’Ile Maurice qui bat plus fort.
A l’occasion du cent cinquantenaire du Mauritius Turf Club, le grand écrivain Malcolm de Chazal eut l’idée – géniale serait un pléonasme en parlant de lui – d’écrire un livre racontant le monde hippique. « Les Courses à l’Ile Maurice », paru en 1962, est un petit opus de 40 pages édité par Mauritius Printing, court et brilliant qui raconte si bien la passion de tout un peuple pour les courses de chevaux.
S’il dit d’emblée ne rien connaître du turf, Malcolm est incontestablement un amoureux des chevaux, un familier du monde hippique et un sacré observateur ! Mais il est surtout un passionné de l’Ile Maurice, de son patrimoine séculaire dont le Mauritius Turf Club, véritable institution, est l’un des piliers.
En 1962, le MTC faisait son propre livre du cent cinquantenaire. Malcolm, lui, pensait faire un livre plutôt naïf, rempli d’anecdotes et d’observations personnelles. Il raconte que l’idée lui vint après une nuit pleine de rêve de courses hippiques… Accompagné de son ami Amédée Poupard, issu d’une grande famille de turfistes, il prit rendez-vous avec Paul Hein, le president du MTC qu’il décrit comme “possédé” par sa passion des courses, des chevaux, du turf club… « Nous étions faits pour nous comprendre », dit de lui Malcolm. Paul Hein lui accorda le champ libre, tout était mis à sa disposition pour le projet. « Je voudrais faire de mon livre un vaste geste de communion », écrit-il dans son introduction.
Principal objet d’admiration, le cheval est « noble, humain », pour Malcolm. « Le cheval aime à être aimé, il est l’être le plus généreux de la terre. Il peut être decalé avant la course si son proprietaire a un mot dur. Le cheval est intelligent pas seulement du cerveau mais de tout le corps. Il est si intelligent des jambes qu’il évite son cavalier tombé, d’un réflexe absolu. Et il connait l’opinion de la foule. Car un cheval qui vient d’Afrique du sud, d’Angleterre, de France ou d’Australie, devient Mauricien quand il est en piste », résume-t-il en une description typique de la verve extraordinaire qui fit sa réputation. Et, qualité ultime et fort utile, le cheval donnerait même des tuyaux, selon Malcolm… « Mais y a-t-il quelqu’un qui les écoute », s’interroge-t-il.
Première communion, celle entre l’homme et le cheval, donc. Le cheval et l’homme? Un tandem. « L’homme peut grandir et s’élever dans la compagnie du cheval« , écrit-il. C’est si bien dit que cela suffit a comprendre cette affinité dévorante qui pousse l’homme un samedi ensoleillé sur l’hippodrome bondé du Champ de Mars à venir dévorer l’animal mis à nu dans une chevauchée éperdue vers la victoire de l’effort sur l’adversité.
Prochaine communion, celle entre les hommes eux-mêmes. Elle s’étale à l’état brut dans la plaine, située au coeur du Champ de Mars, « si ruisselante de joie créole« , avec sa foule, vertigineuse de discipline et de nonchalance, avec ses marchands de boissons en tout genre à deux verres pour un sou, ses sorbets, le kulfi malai, ses samoussas, ses pistaches salées, bouillies, grilles et puis aussi son carrousel qui fait la joie des petits et des grands. Il décrit la plaine lors de la grande semaine d’août, celle de la grande course classique du turf mauricien, le Maiden. « Les laboureurs des propriétés sucrières venaient de partout, à pied, en charrette avec leurs familles et leurs ustensiles de cuisine s’installant de bonne heure et préparant leur repas »…
Et au fil de la lecture de cet ouvrage aujourd’hui épuisé, on se rend compte que Malcolm est en fait un connaisseur. Il connait le Champ de Mars par coeur, la plaine et la loge des commisssaires, les traditions vieille-France du Mauritius Turf Club… Il connaît surtout les personnalités du turf comme s’ils avaient joué aux billes ensemble.
Il cite Alfred Duclos, celui qui présida au centenaire du MTC, en 1912; Gaëtan Halbwachs, avec sa stature, sa gentillesse, cheville ouvrière du succès du turf; Maxime Boullé arrivant à l’aube à l’entrainement dans une auto qui faisait sensation; Joseph Merven, un des meilleurs entraineurs du turf mauricien; Raoul Rivet, sa crinière de lion au vent, serré dans des vêtements sombres, adossé à la barrière du paddock, humant l’odeur du vainqueur; Caïdo Robinson, avec sa mine de turfiste du temps de la reine Victoria, longue vue en bandoulière, monocle vissé à l’oeil; Rajcoomar Gujadhur, la personnalité des personnalités, aimant les courses de tout son coeur, arborant de larges moustaches sur un beau visage couronné d’un turban immaculé et qui possédait les plus grands cracks du turf, dont Damoiselle qui établit un record valable pendant un demi-siècle. Enfin, Malcolm évoque quelqu’un pour lequel il sembait avoir beaucoup de sympathie. “En cette année 1962, il résumait le turf tout entier, la joie du cheval dans toute sa splendeur, Roger de Commarmond, le Centaure”, écrit-il de celui dont l’absence pouvait provoquer une fermeture du turf club ou un refus des chevaux à prendre le départ…
Et il y avait aussi toutes les autres figures du turf, le Dr François Darné, les Clarenc, Dufourq, Esclapon, Fédé de Pitray, Ducler des Rauches, Rawstorne, la svelte et gracieuse Georgina Souchon, femme parmi les hommes, petite fille de Tristan Mallac, grand propriétaire de coursiers. Malcolm les cite tous. Tous connaissaient les courses, vivaient pour les courses et n’étaient jamais plus heureux qu’au moment de l’ouverture de la saison hippique…
Comme la plupart des Mauriciens, Malcolm aime profondément le monde des courses de chevaux. Pour lui, en ce cent cinquantenaire, il y a tout lieu d’être fier du turf club, l’un des plus vieux clubs hippiques du monde. Belle, aussi, cette tradition des courses, intiment liée au destin de l’île Maurice, au même titre que son port et ses champs de cannes. Le turf club “est” au pays, comme il le dit lui même…
A la fin de son récit, en un élan visionnaire, Malcolm se permet même de faire des recommendations pour l’avenir. Avec la population qui grandit, il faudrait, selon lui, agrandir les tribunes en « achetant le jardin suspendu qu’est l’immeuble Gujadhur »… « Que la piste reste là où elle est », prévient-il cependant. Autre suggestion: former nos propres jockeys, à l’image des Lall et Adrien, uniques en leur genre, à l’époque.
Et il conclut son tour de piste par une de ces belles pensées dont il a le secret. « En cette année 1962, les temps changent déjà. On ne s’aime plus avec des faveurs et des regards, c’est le temps du twist, du bikini et du Martini sec. La femme reste la femme et l’homme reste l’homme. Mais le cheval ? Il est éternel, puisqu’il est l’élan vers la vie »…
Sources – “Les Courses à l’Ile Maurice”, de Malcolm de Chazal
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